
« Enfant, j’ai vécu entre la cuisine et la campagne : mes parents travaillaient au restaurant Aux Terrasses à Tournus, en Saône-et-Loire, mes grands-parents vivaient dans une ferme de l’arrière-pays tournugeois, et quasiment tous les week-ends et les vacances, j’étais parachuté chez eux. La bâtisse était perchée sur une butte et dominait le village, bordée de prés, avec en contrebas, une rivière. C’était un terrain de jeux fantastique.
Mon grand-père pratiquait la polyculture-élevage, un peu de blé, un peu de maïs, des vaches, des chèvres, deux cochons, des poules, et même quelques vignes. Ma grand-mère confectionnait ses fromages dans la cave en terre battue. Elle ferait ça aujourd’hui, on la mettrait en prison. Mes grands-parents n’étaient pas bio, mais j’ai des souvenirs assez purs de tout cela. J’adorais passer du temps chez eux et j’en ai profité jusqu’à mes 12 ans, jusqu’à ce qu’ils revendent le fonds de ferme.
Bien plus tard, je suis retourné sur place et la maison m’a semblé toute petite. Mais je me suis rendu compte à quel point j’étais attaché à cette campagne, aux villages avec leurs petits clochers, aux paysages vallonnés, à la vieille pierre, à la verdure, aux tourbières, au passage des oiseaux migrateurs… Même si nous vivons et travaillons à Tournus, nous avons retapé une vieille grange à 7 kilomètres de la ville, et nous nous y réfugions dès que possible.
Quand j’ai repris le restaurant familial il y a quinze ans, il était marqué par mes parents. Il était chouette, traditionnel et accueillant, mais ce n’était pas chez nous. Ma femme, Amandine, et moi avons eu envie de nous l’approprier, d’y mettre notre touche, notamment en répondant à des problématiques écologiques contemporaines, qui nous tiennent à cœur, pour en faire un hôtel-restaurant écoresponsable.
On a d’abord effectué des transformations fonctionnelles plutôt qu’opérationnelles, posé un système de pompe à chaleur et du photovoltaïque, pour faire ensuite de ce lieu quelque chose qui nous ressemble, qui soit moderne mais intègre aussi le passé – car j’aime ce qui a de l’usure, de la patine, une histoire. J’aime voir le passage du temps sur les matières, les imperfections, la vieille argenterie, les céramiques, les bols émaillés en raku…
Côté cuisine, je travaille avec le tissu local. Je suis dans cette démarche depuis des années. Le soir, on propose un menu dégustation en six ou neuf étapes, qui est dicté par les produits que j’ai à ma disposition. C’est toujours le légume qui donne le tempo, le reste suit. Ce menu me permet d’utiliser des produits au jour le jour, sans me priver de rien, même s’ils ne sont disponibles qu’en très petites quantités.
Cela me donne beaucoup de liberté et me permet aussi de raconter une histoire, des paysages. Il y a des reliefs, des ruptures, des condiments qui ponctuent, des moments calmes et des moments bouillonnants qui s’accordent avec les vins proposés par Damien, notre sommelier. C’est une affaire de tonalités. Je me fournis chez six ou sept paysans maraîchers, tous du coin, des éleveurs et des pêcheurs de la région.
J’adore la rivière aussi, la Saône, à côté du restaurant – même si elle est masquée, désormais, par un supermarché qui gâche le paysage… Cela fait treize ans que je travaille avec un ami pêcheur qui me rapporte toutes sortes de poissons d’eau douce. Les petites ablettes en friture, roulées dans de la farine des gaudes (farine de maïs torréfié de chez nous), sont un marqueur de l’apéro, qu’on mange avec les doigts. Il y a aussi des bouillons, une crêpe croustillante avec des radis et du beurre-moutarde, un pistou de fanes avec des légumes crus et cuits, des pommes avec des œufs de brochet fumés, ou encore les escargots dans leur biotope…
J’utilise des petits ou des gros-gris, élevés par Sylvain Peyrot à Etrigny, et non des escargots de Bourgogne qui n’en sont pas, sauf à l’état sauvage, et qui sont moins fins. L’idée est de faire redécouvrir l’escargot en différentes textures, et de le marier à ce qui pousse autour de lui. Des céréales, des herbes, des fleurs… Un genre de taboulé très vert, comme les paysages humides, odorants et verdoyants de mon enfance. »
August 07, 2020 at 08:04PM
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Jean-Michel Carrette : « C'est toujours le légume qui donne le tempo, le reste suit » - Le Monde
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